Tout se dire

Qui était-il ?
Il était un mari violent avec sa femme, un père violent avec ses enfants, un homme qui buvait : un alcoolique, un homme mal dans sa peau, traumatisé par plusieurs guerres faites et vécues.
Mais qui était-il ? Je lui en veux, entre autres, de s'être suicidé pour toutes ces questions auxquelles je n'ai pas de réponse. Je ne peux les poser à personne, ni à sa femme ni à ma mère.
J'aurais tant aimé le connaitre plus. Pas pour lui pardonner, pas pour le justifier, mais je ne sais pas, peut-être comprendre quelque chose.

Pourquoi s'est-il suicidé ? Est-ce en rapport avec moi ? Est-ce "à cause" de moi ? "Grâce" à moi ?
Avait-il conscience de ce qu'il me faisait ? Savait-il que ce n'était pas "normal" de faire ça à sa petite-fille ? Préméditait-il ses abus ? Essayait-il de lutter contre ses "envies" d'inceste ? On parle d'"envies", de "pulsions" ?
Je me demande.

Le mur, la tapisserie. Mes yeux fixent le mur, la tapisserie qui le recouvre.
Il est derrière moi. J'ai 7 ans. "Il", c'est mon grand-père. Le père de ma mère. Nous sommes dans le lit de mes parents, à l'étage. Nous sommes là pour une sieste. Comme très souvent quand ma grand-mère et lui viennent s'occuper de nous ou viennent rendre visite à mes parents, je fais la sieste avec lui après le repas de midi.
Ma mère était là il y a pas 10 minutes, dans la salle de bains juste à côté. Si elle savait ce que fait son père à son petit bébé.

Je n'ai plus beaucoup de souvenirs de mon enfance, d'avant et d'après ce jour. Y a-t-il eu d'autres jours comme celui-ci ? Fut-ce récurent ?

Il s'est suicidé quand je suis devenue femme. Est-ce parce qu'il a eu peur que je tombe enceinte ? Est-ce parce qu'il s'est rendu compte de ce qu'il avait fait ? Peut-être rien à voir avec moi.

Il vaut mieux ne rien dire, ne pas leur en parler... ça les tuerait. Ma mère est au courant, mon père l'est aussi. C'est elle qui lui en a parlé. Je ne pouvais pas, j'avais trop honte de lui dire tout ça en face à face. Pendant plusieurs années, ils ont été les seuls membres de ma famille à être au courant.

Pourquoi pas ma soeur ? Pour mes parents, ou peut-être seulement pour ma mère : "Elle est trop fragile", "Elle ne supportera pas."
Ok, je ne lui en parle pas.

Finalement le jour où elle devient maman, ma mère me dit qu'elle peut l'apprendre. Pourquoi ce jour-là ?
Je lui raconte. Elle n'est pas trop fragile. Elle supporte et trouve les mots "justes", ne sort rien d'idiot et je l'aime plus fort que jamais.
Depuis ce jour, nous n'en avons plus jamais parlé. De toutes façons elle n'est pas très expensive en paroles et gestes.
Depuis ce jour, j'ai vraiment une soeur, une amie aussi et quelqu'un que j'aime très très fort.

Pour les autres ? "Non non on en parle à personne tant que ta grand-mère est encore vivante. Quelqu'un lui en parlerait forcément et ça la tuerait"
D'accord. Je ne leur en parle pas. Je me tais. Il ne faut pas avoir honte, mais il faut en parler à personne.

Il ne faut pas avoir honte, mais il ne faut en parler à personne.
Il ne faut pas avoir honte, mais il ne faut en parler à personne.

Il ne faut pas avoir honte, mais il faut en parler à personne.